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Helga Lovekaty
Morjana était occupée à scruter l’écran du PC, ce logiciel est décidément bon pour la corbeille… éditer un compte rendu peut prendre une éternité, elle se demande si l’écrire à la main prendrait moins de temps.
« Je suis sûre que ça prendrait moins de temps » … la technologie ne lui réussissait pas, la lenteur de ce logiciel abuse de ses nerfs, abuse de son temps… elle chantonne : « un PC pourri, ça m’use. Ça m’use. Un PC pourri… »
« Dr Morjana, tu as vu la note de service qui vient de paraître ?! Sur les permissions à l’étranger. »
« Qu’est-ce qu’ils disent, c’est interdit ? Qu’est-ce qu’ils ont encore inventé ? »
« Ils rappellent les règles de la correspondance militaire »
« Ah bon ! elle est où cette note ? »
Elle s’inquiète, elle envisageait de déposer une demande de permission à l’étranger pour dans trois mois…
« C’est chez la secrétaire, ils disent que les médecins ne respectent pas les règles de base d’écriture, et qu’ils refuseront toute demande qui ne respecte pas le modèle »
« Quel modèle ? Déjà qu’une demande de permission à l’étranger était un vrai parcours du combattant… ils font tout pour dissuader les gens… »
Elle prend le modèle en question entre les mains…
Il y a des flèches partout… 2 cm de marges droites, 2 cm de marge en haut, 1 cm à gauche, 4 cm en bas, 7,5 cm du haut vers le nom de l’expéditeur, 4 cm pour le destinataire, revenir à la ligne, encore 4,5 cm…
« WOW ».
Elle était épuisée rien qu’en regardant ce modèle…
Elle reste pensive, elle a toujours eu du mal avec les demandes administratives, elle s’y reprend à 3 ou 4 fois avant de réussir à en finir une… 4 papiers ministre à la poubelle…
Avec ce modèle, elle pourrait venir à bout de ce qui reste de la forêt de Maamoura…
Elle se résigne. Il fallait garder une copie de ce modèle… elle en fait une…
La demande de permission à l’étranger attendra, elle doit en faire une autre aujourd’hui, une demande pour une attestation de salaire… un médecin militaire, ça mène une vie trépidante !
Au service de trésorerie, le sergent cherche un modèle de demande d’attestation de salaire à lui confier.
« Tbiba, il y a une note qui est sortie ce matin, il faut respecter les mesures… vous l’avez vu ? »
Et il lui montre le même papier qu’elle avait eu entre les mains il y a quelques minutes.
« Ah bon, donc, ça ne concerne pas seulement les permissions… » dit-elle tout haut
« Merde alors… » pensa-t-elle tout bas
La note avait comme objet : « Rappel des règles de la correspondance militaire »
« Le voilà », il vient de trouver le modèle pour l’attestation de salaire, le destinataire, les avis, tout est différent…
Elle s’assoit devant lui, et elle s’applique, elle n’avait trouvé qu’un seul « papier ministre », denrée rare et précieuse dans leur institution (c’est peut-être une bonne idée de business, un distributeur de « papier ministre » à l’hôpital, et aussi de stylos noirs… parce qu’il faut l’écrire en noir la demande… leur administration n’accepte de lire que le noir, c’est plus sobre, plus ferme, si on écrit en bleu c’est peut-être qu’on ne tient pas vraiment à ce qu’on avait demandé !)
Elle s’applique donc et elle se concentre, elle n’a pas besoin d’un double décimètre, le carreau du « papier ministre » mesure un demi-centimètre, elle compte, un, deux, trois, quatre… Rabat le 25/11/2013 un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix… un adjudant-chef pénètre dans le bureau, « il faut respecter les mesures, ils ont rejeté des demandes “had” “sbah”, plein de gens sont obligés de tout refaire. »
Six, sept… non, elle s’est trompée, pff. Elle reprend, un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix…
« Tbiba, tu dois utiliser le double décimètre… les mesures, c’est obligatoire »
Elle a la haine, elle serre les dents, « ce n’est pas la peine, merci »
« Mais Tbiba ! ils vont rejeter... »
Elle se concentre, onze, douze, treize, quatorze…
Elle garde un doigt sur la ligne et elle vérifie sur le modèle, 7 cm ou 7,5 cm ?
7,5 cm, mais d’où ça vient ces chiffres ? C’est qui le Dieu de la correspondance qui a décidé que 7,5 cm, ça donnerait mieux que 7 cm sur une page de « papier ministre » ?
Quinze, et encore quinze petits carreaux du côté… du Médecin Officier féminin quatrième Classe Morjana, du Service… de l’HMIMV revient à la ligne, Rabat, deux tirets, « Pffff, » pensa-t-elle « ce n’est pas un grade, c’est une observation clinique ! » … fallait-il vraiment préciser qu’elle était une femme… « n’était-ce pas assez clair sur le prénom ? Et puis ça sert à quoi ?? »
« Calme-toi et reconcentre-toi, » elle devait se ressaisir.
Un deux trois, quatre…
« A »
Un « A » majuscule, un beau « A » magistral qu’elle va souligner à la fin, elle s’adresse au « A »
Et ça continue…
Un, deux, trois… Monsieur, celui qui décide…
« Fallait-il vraiment le déranger pour sa petite attestation de salaire » ?
Bien sûr, sous couvert de la voie hiérarchique…
Et Dieu sait qu’elle est longue la voie hiérarchique pour un Médecin Officier féminin de quatrième Classe comme elle..
Un, deux, trois…
Objet : Demande d’attestation de Salaire
Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit…
« J’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir… »
Elle se rappelle ses cours de correspondance, « bien vouloir » c’est pour s’adresser à un supérieur, « Vouloir bien » c’est quand on s’adresse à un subalterne…
Elle n’a jamais vu un supérieur rédiger une demande destinée à un subalterne… c’est sûrement parce qu’elle est encore jeune, trop peu d’ancienneté…
Plusieurs petits carreaux plus loin, et à quatre petits carreaux du coin de la feuille, elle signe…
Elle tourne la page, elle doit mettre les avis… la longue série de marches de l’échelle hiérarchique qui la sépare de son destinataire, la longue échelle hiérarchique humaine dont elle est la base
Dans un cirque, c’est sur ses épaules qu’ils se tiendraient tous.
Elle rédigerait sa demande, elle la tendrait à celui qui est directement au-dessus d’elle, qui la passerait quand ça l’arrangerait à celui d’en haut, et ainsi de suite jusqu’à celui sur les épaules duquel personne n’est assis ou debout, il décidera… c’est sur la troisième page qu’elle lui consacre son espace… un, deux, trois, quatre...
Décision de Monsieur celui qui décide….
Ouf
Pas de fautes d’orthographe, c’est un miracle…
Elle doit souligner… elle lève la tête, elle a du mal à lever la tête, ses cervicales se sont ankylosées dans la position courbée… elle masse sa nuque, « Vous avez un double décimètre. »
« Je vous ai prévenu que vous en auriez besoin… » lui répond triomphalement son interlocuteur… sur l’autre bout du bureau, le sergent est en train de rédiger une demande pour un homme de troupe, qui ne maîtrise pas le français… un, deux, trois…
Il lui prête sa règle…
Elle souligne, la date, l’en-tête, le fameux A, « sous couvert de la voie hiérarchique », et les avis…
« Voilà, » elle lui tend la règle, elle lui tend la demande…
« Il faut joindre l’imprimé de demande d’attestation de salaire… » lui dit-il
Elle le regarde, incrédule, « un imprimé ?! »
« Avec la demande écrite, il y a un imprimé, une déclaration sur l’honneur »
Elle est fatiguée, elle veut en finir, « il est où cet imprimé ? »
On le lui tend,
Trois lignes à remplir. Une signature… elle adore les imprimés…
Un autre militaire entre dans le bureau, « même les demandes de permission ont été retournées… c’est quoi ces mesures qu’il faut respecter ? »
Elle joint son imprimé à la demande,
Le sergent commence à scruter le document,
Elle n’en croit pas ses yeux, il cherche un moyen de vérifier les mesures, « vous êtes sûr d’avoir respecté les chiffres ?! Ils vont vérifier après… »
« Bien sûr que j’ai respecté… je reviens quand, récupérer mon attestation de salaire… ? »
« Dans 10 jours… »
Elle soupire un « Merci » et elle file.
Le sergent tenait toujours sa demande dans les mains, la regardait toujours fixement, les sourcils froncés… elle n’a pas envie d’être là quand il dénichera l’erreur fatale… c’est décidé, elle ne referait pas cette demande…
Elle ne la referait pas, du moins pas aujourd’hui.
Elle a des crampes dans les doigts… c’est du sport la correspondance militaire
Et à chaque sport ces règles, dira-t-on !
Elle revient au service, ici aussi on parle de demandes et de centimètres…
C’est le sujet du jour, tout l’hôpital militaire ne parle plus que de ça, ne pense plus qu’à ça. Les patients, les interventions, les problèmes attendront…
Un, deux, trois, quatre, cinq… « Foulana » veut se marier.
Dix, onze, douze: demande de stage…
Six, sept, huit… « J’ai l’honneur… voyage… doctorat… logement… voiture… diplôme… crédit… » « Décidément, il y a de quoi faire. » Elle pourrait rajouter des « doubles décimètres » en plus des stylos noirs dans son distributeur à "papier ministre"…
Source: Rappel des règles de la correspondance militaire
Morjana était occupée à scruter l’écran du PC, ce logiciel est décidément bon pour la corbeille… éditer un compte rendu peut prendre une éternité, elle se demande si l’écrire à la main prendrait moins de temps.
« Je suis sûre que ça prendrait moins de temps » … la technologie ne lui réussissait pas, la lenteur de ce logiciel abuse de ses nerfs, abuse de son temps… elle chantonne : « un PC pourri, ça m’use. Ça m’use. Un PC pourri… »
« Dr Morjana, tu as vu la note de service qui vient de paraître ?! Sur les permissions à l’étranger. »
« Qu’est-ce qu’ils disent, c’est interdit ? Qu’est-ce qu’ils ont encore inventé ? »
« Ils rappellent les règles de la correspondance militaire »
« Ah bon ! elle est où cette note ? »
Elle s’inquiète, elle envisageait de déposer une demande de permission à l’étranger pour dans trois mois…
« C’est chez la secrétaire, ils disent que les médecins ne respectent pas les règles de base d’écriture, et qu’ils refuseront toute demande qui ne respecte pas le modèle »
« Quel modèle ? Déjà qu’une demande de permission à l’étranger était un vrai parcours du combattant… ils font tout pour dissuader les gens… »
Elle prend le modèle en question entre les mains…
Il y a des flèches partout… 2 cm de marges droites, 2 cm de marge en haut, 1 cm à gauche, 4 cm en bas, 7,5 cm du haut vers le nom de l’expéditeur, 4 cm pour le destinataire, revenir à la ligne, encore 4,5 cm…
« WOW ».
Elle était épuisée rien qu’en regardant ce modèle…
Elle reste pensive, elle a toujours eu du mal avec les demandes administratives, elle s’y reprend à 3 ou 4 fois avant de réussir à en finir une… 4 papiers ministre à la poubelle…
Avec ce modèle, elle pourrait venir à bout de ce qui reste de la forêt de Maamoura…
Elle se résigne. Il fallait garder une copie de ce modèle… elle en fait une…
La demande de permission à l’étranger attendra, elle doit en faire une autre aujourd’hui, une demande pour une attestation de salaire… un médecin militaire, ça mène une vie trépidante !
Au service de trésorerie, le sergent cherche un modèle de demande d’attestation de salaire à lui confier.
« Tbiba, il y a une note qui est sortie ce matin, il faut respecter les mesures… vous l’avez vu ? »
Et il lui montre le même papier qu’elle avait eu entre les mains il y a quelques minutes.
« Ah bon, donc, ça ne concerne pas seulement les permissions… » dit-elle tout haut
« Merde alors… » pensa-t-elle tout bas
La note avait comme objet : « Rappel des règles de la correspondance militaire »
« Le voilà », il vient de trouver le modèle pour l’attestation de salaire, le destinataire, les avis, tout est différent…
Elle s’assoit devant lui, et elle s’applique, elle n’avait trouvé qu’un seul « papier ministre », denrée rare et précieuse dans leur institution (c’est peut-être une bonne idée de business, un distributeur de « papier ministre » à l’hôpital, et aussi de stylos noirs… parce qu’il faut l’écrire en noir la demande… leur administration n’accepte de lire que le noir, c’est plus sobre, plus ferme, si on écrit en bleu c’est peut-être qu’on ne tient pas vraiment à ce qu’on avait demandé !)
Elle s’applique donc et elle se concentre, elle n’a pas besoin d’un double décimètre, le carreau du « papier ministre » mesure un demi-centimètre, elle compte, un, deux, trois, quatre… Rabat le 25/11/2013 un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix… un adjudant-chef pénètre dans le bureau, « il faut respecter les mesures, ils ont rejeté des demandes “had” “sbah”, plein de gens sont obligés de tout refaire. »
Six, sept… non, elle s’est trompée, pff. Elle reprend, un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix…
« Tbiba, tu dois utiliser le double décimètre… les mesures, c’est obligatoire »
Elle a la haine, elle serre les dents, « ce n’est pas la peine, merci »
« Mais Tbiba ! ils vont rejeter... »
Elle se concentre, onze, douze, treize, quatorze…
Elle garde un doigt sur la ligne et elle vérifie sur le modèle, 7 cm ou 7,5 cm ?
7,5 cm, mais d’où ça vient ces chiffres ? C’est qui le Dieu de la correspondance qui a décidé que 7,5 cm, ça donnerait mieux que 7 cm sur une page de « papier ministre » ?
Quinze, et encore quinze petits carreaux du côté… du Médecin Officier féminin quatrième Classe Morjana, du Service… de l’HMIMV revient à la ligne, Rabat, deux tirets, « Pffff, » pensa-t-elle « ce n’est pas un grade, c’est une observation clinique ! » … fallait-il vraiment préciser qu’elle était une femme… « n’était-ce pas assez clair sur le prénom ? Et puis ça sert à quoi ?? »
« Calme-toi et reconcentre-toi, » elle devait se ressaisir.
Un deux trois, quatre…
« A »
Un « A » majuscule, un beau « A » magistral qu’elle va souligner à la fin, elle s’adresse au « A »
Et ça continue…
Un, deux, trois… Monsieur, celui qui décide…
« Fallait-il vraiment le déranger pour sa petite attestation de salaire » ?
Bien sûr, sous couvert de la voie hiérarchique…
Et Dieu sait qu’elle est longue la voie hiérarchique pour un Médecin Officier féminin de quatrième Classe comme elle..
Un, deux, trois…
Objet : Demande d’attestation de Salaire
Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit…
« J’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir… »
Elle se rappelle ses cours de correspondance, « bien vouloir » c’est pour s’adresser à un supérieur, « Vouloir bien » c’est quand on s’adresse à un subalterne…
Elle n’a jamais vu un supérieur rédiger une demande destinée à un subalterne… c’est sûrement parce qu’elle est encore jeune, trop peu d’ancienneté…
Plusieurs petits carreaux plus loin, et à quatre petits carreaux du coin de la feuille, elle signe…
Elle tourne la page, elle doit mettre les avis… la longue série de marches de l’échelle hiérarchique qui la sépare de son destinataire, la longue échelle hiérarchique humaine dont elle est la base
Dans un cirque, c’est sur ses épaules qu’ils se tiendraient tous.
Elle rédigerait sa demande, elle la tendrait à celui qui est directement au-dessus d’elle, qui la passerait quand ça l’arrangerait à celui d’en haut, et ainsi de suite jusqu’à celui sur les épaules duquel personne n’est assis ou debout, il décidera… c’est sur la troisième page qu’elle lui consacre son espace… un, deux, trois, quatre...
Décision de Monsieur celui qui décide….
Ouf
Pas de fautes d’orthographe, c’est un miracle…
Elle doit souligner… elle lève la tête, elle a du mal à lever la tête, ses cervicales se sont ankylosées dans la position courbée… elle masse sa nuque, « Vous avez un double décimètre. »
« Je vous ai prévenu que vous en auriez besoin… » lui répond triomphalement son interlocuteur… sur l’autre bout du bureau, le sergent est en train de rédiger une demande pour un homme de troupe, qui ne maîtrise pas le français… un, deux, trois…
Il lui prête sa règle…
Elle souligne, la date, l’en-tête, le fameux A, « sous couvert de la voie hiérarchique », et les avis…
« Voilà, » elle lui tend la règle, elle lui tend la demande…
« Il faut joindre l’imprimé de demande d’attestation de salaire… » lui dit-il
Elle le regarde, incrédule, « un imprimé ?! »
« Avec la demande écrite, il y a un imprimé, une déclaration sur l’honneur »
Elle est fatiguée, elle veut en finir, « il est où cet imprimé ? »
On le lui tend,
Trois lignes à remplir. Une signature… elle adore les imprimés…
Un autre militaire entre dans le bureau, « même les demandes de permission ont été retournées… c’est quoi ces mesures qu’il faut respecter ? »
Elle joint son imprimé à la demande,
Le sergent commence à scruter le document,
Elle n’en croit pas ses yeux, il cherche un moyen de vérifier les mesures, « vous êtes sûr d’avoir respecté les chiffres ?! Ils vont vérifier après… »
« Bien sûr que j’ai respecté… je reviens quand, récupérer mon attestation de salaire… ? »
« Dans 10 jours… »
Elle soupire un « Merci » et elle file.
Le sergent tenait toujours sa demande dans les mains, la regardait toujours fixement, les sourcils froncés… elle n’a pas envie d’être là quand il dénichera l’erreur fatale… c’est décidé, elle ne referait pas cette demande…
Elle ne la referait pas, du moins pas aujourd’hui.
Elle a des crampes dans les doigts… c’est du sport la correspondance militaire
Et à chaque sport ces règles, dira-t-on !
Elle revient au service, ici aussi on parle de demandes et de centimètres…
C’est le sujet du jour, tout l’hôpital militaire ne parle plus que de ça, ne pense plus qu’à ça. Les patients, les interventions, les problèmes attendront…
Un, deux, trois, quatre, cinq… « Foulana » veut se marier.
Dix, onze, douze: demande de stage…
Six, sept, huit… « J’ai l’honneur… voyage… doctorat… logement… voiture… diplôme… crédit… » « Décidément, il y a de quoi faire. » Elle pourrait rajouter des « doubles décimètres » en plus des stylos noirs dans son distributeur à "papier ministre"…
Source: Rappel des règles de la correspondance militaire
Morjana était occupée à scruter l’écran du PC, ce logiciel est décidément bon pour la corbeille… éditer un compte rendu peut prendre une éternité, elle se demande si l’écrire à la main prendrait moins de temps.
« Je suis sûre que ça prendrait moins de temps » … la technologie ne lui réussissait pas, la lenteur de ce logiciel abuse de ses nerfs, abuse de son temps… elle chantonne : « un PC pourri, ça m’use. Ça m’use. Un PC pourri… »
« Dr Morjana, tu as vu la note de service qui vient de paraître ?! Sur les permissions à l’étranger. »
« Qu’est-ce qu’ils disent, c’est interdit ? Qu’est-ce qu’ils ont encore inventé ? »
« Ils rappellent les règles de la correspondance militaire »
« Ah bon ! elle est où cette note ? »
Elle s’inquiète, elle envisageait de déposer une demande de permission à l’étranger pour dans trois mois…
« C’est chez la secrétaire, ils disent que les médecins ne respectent pas les règles de base d’écriture, et qu’ils refuseront toute demande qui ne respecte pas le modèle »
« Quel modèle ? Déjà qu’une demande de permission à l’étranger était un vrai parcours du combattant… ils font tout pour dissuader les gens… »
Elle prend le modèle en question entre les mains…
Il y a des flèches partout… 2 cm de marges droites, 2 cm de marge en haut, 1 cm à gauche, 4 cm en bas, 7,5 cm du haut vers le nom de l’expéditeur, 4 cm pour le destinataire, revenir à la ligne, encore 4,5 cm…
« WOW ».
Elle était épuisée rien qu’en regardant ce modèle…
Elle reste pensive, elle a toujours eu du mal avec les demandes administratives, elle s’y reprend à 3 ou 4 fois avant de réussir à en finir une… 4 papiers ministre à la poubelle…
Avec ce modèle, elle pourrait venir à bout de ce qui reste de la forêt de Maamoura…
Elle se résigne. Il fallait garder une copie de ce modèle… elle en fait une…
La demande de permission à l’étranger attendra, elle doit en faire une autre aujourd’hui, une demande pour une attestation de salaire… un médecin militaire, ça mène une vie trépidante !
Au service de trésorerie, le sergent cherche un modèle de demande d’attestation de salaire à lui confier.
« Tbiba, il y a une note qui est sortie ce matin, il faut respecter les mesures… vous l’avez vu ? »
Et il lui montre le même papier qu’elle avait eu entre les mains il y a quelques minutes.
« Ah bon, donc, ça ne concerne pas seulement les permissions… » dit-elle tout haut
« Merde alors… » pensa-t-elle tout bas
La note avait comme objet : « Rappel des règles de la correspondance militaire »
« Le voilà », il vient de trouver le modèle pour l’attestation de salaire, le destinataire, les avis, tout est différent…
Elle s’assoit devant lui, et elle s’applique, elle n’avait trouvé qu’un seul « papier ministre », denrée rare et précieuse dans leur institution (c’est peut-être une bonne idée de business, un distributeur de « papier ministre » à l’hôpital, et aussi de stylos noirs… parce qu’il faut l’écrire en noir la demande… leur administration n’accepte de lire que le noir, c’est plus sobre, plus ferme, si on écrit en bleu c’est peut-être qu’on ne tient pas vraiment à ce qu’on avait demandé !)
Elle s’applique donc et elle se concentre, elle n’a pas besoin d’un double décimètre, le carreau du « papier ministre » mesure un demi-centimètre, elle compte, un, deux, trois, quatre… Rabat le 25/11/2013 un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix… un adjudant-chef pénètre dans le bureau, « il faut respecter les mesures, ils ont rejeté des demandes “had” “sbah”, plein de gens sont obligés de tout refaire. »
Six, sept… non, elle s’est trompée, pff. Elle reprend, un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix…
« Tbiba, tu dois utiliser le double décimètre… les mesures, c’est obligatoire »
Elle a la haine, elle serre les dents, « ce n’est pas la peine, merci »
« Mais Tbiba ! ils vont rejeter... »
Elle se concentre, onze, douze, treize, quatorze…
Elle garde un doigt sur la ligne et elle vérifie sur le modèle, 7 cm ou 7,5 cm ?
7,5 cm, mais d’où ça vient ces chiffres ? C’est qui le Dieu de la correspondance qui a décidé que 7,5 cm, ça donnerait mieux que 7 cm sur une page de « papier ministre » ?
Quinze, et encore quinze petits carreaux du côté… du Médecin Officier féminin quatrième Classe Morjana, du Service… de l’HMIMV revient à la ligne, Rabat, deux tirets, « Pffff, » pensa-t-elle « ce n’est pas un grade, c’est une observation clinique ! » … fallait-il vraiment préciser qu’elle était une femme… « n’était-ce pas assez clair sur le prénom ? Et puis ça sert à quoi ?? »
« Calme-toi et reconcentre-toi, » elle devait se ressaisir.
Un deux trois, quatre…
« A »
Un « A » majuscule, un beau « A » magistral qu’elle va souligner à la fin, elle s’adresse au « A »
Et ça continue…
Un, deux, trois… Monsieur, celui qui décide…
« Fallait-il vraiment le déranger pour sa petite attestation de salaire » ?
Bien sûr, sous couvert de la voie hiérarchique…
Et Dieu sait qu’elle est longue la voie hiérarchique pour un Médecin Officier féminin de quatrième Classe comme elle..
Un, deux, trois…
Objet : Demande d’attestation de Salaire
Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit…
« J’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir… »
Elle se rappelle ses cours de correspondance, « bien vouloir » c’est pour s’adresser à un supérieur, « Vouloir bien » c’est quand on s’adresse à un subalterne…
Elle n’a jamais vu un supérieur rédiger une demande destinée à un subalterne… c’est sûrement parce qu’elle est encore jeune, trop peu d’ancienneté…
Plusieurs petits carreaux plus loin, et à quatre petits carreaux du coin de la feuille, elle signe…
Elle tourne la page, elle doit mettre les avis… la longue série de marches de l’échelle hiérarchique qui la sépare de son destinataire, la longue échelle hiérarchique humaine dont elle est la base
Dans un cirque, c’est sur ses épaules qu’ils se tiendraient tous.
Elle rédigerait sa demande, elle la tendrait à celui qui est directement au-dessus d’elle, qui la passerait quand ça l’arrangerait à celui d’en haut, et ainsi de suite jusqu’à celui sur les épaules duquel personne n’est assis ou debout, il décidera… c’est sur la troisième page qu’elle lui consacre son espace… un, deux, trois, quatre...
Décision de Monsieur celui qui décide….
Ouf
Pas de fautes d’orthographe, c’est un miracle…
Elle doit souligner… elle lève la tête, elle a du mal à lever la tête, ses cervicales se sont ankylosées dans la position courbée… elle masse sa nuque, « Vous avez un double décimètre. »
« Je vous ai prévenu que vous en auriez besoin… » lui répond triomphalement son interlocuteur… sur l’autre bout du bureau, le sergent est en train de rédiger une demande pour un homme de troupe, qui ne maîtrise pas le français… un, deux, trois…
Il lui prête sa règle…
Elle souligne, la date, l’en-tête, le fameux A, « sous couvert de la voie hiérarchique », et les avis…
« Voilà, » elle lui tend la règle, elle lui tend la demande…
« Il faut joindre l’imprimé de demande d’attestation de salaire… » lui dit-il
Elle le regarde, incrédule, « un imprimé ?! »
« Avec la demande écrite, il y a un imprimé, une déclaration sur l’honneur »
Elle est fatiguée, elle veut en finir, « il est où cet imprimé ? »
On le lui tend,
Trois lignes à remplir. Une signature… elle adore les imprimés…
Un autre militaire entre dans le bureau, « même les demandes de permission ont été retournées… c’est quoi ces mesures qu’il faut respecter ? »
Elle joint son imprimé à la demande,
Le sergent commence à scruter le document,
Elle n’en croit pas ses yeux, il cherche un moyen de vérifier les mesures, « vous êtes sûr d’avoir respecté les chiffres ?! Ils vont vérifier après… »
« Bien sûr que j’ai respecté… je reviens quand, récupérer mon attestation de salaire… ? »
« Dans 10 jours… »
Elle soupire un « Merci » et elle file.
Le sergent tenait toujours sa demande dans les mains, la regardait toujours fixement, les sourcils froncés… elle n’a pas envie d’être là quand il dénichera l’erreur fatale… c’est décidé, elle ne referait pas cette demande…
Elle ne la referait pas, du moins pas aujourd’hui.
Elle a des crampes dans les doigts… c’est du sport la correspondance militaire
Et à chaque sport ces règles, dira-t-on !
Elle revient au service, ici aussi on parle de demandes et de centimètres…
C’est le sujet du jour, tout l’hôpital militaire ne parle plus que de ça, ne pense plus qu’à ça. Les patients, les interventions, les problèmes attendront…
Un, deux, trois, quatre, cinq… « Foulana » veut se marier.
Dix, onze, douze: demande de stage…
Six, sept, huit… « J’ai l’honneur… voyage… doctorat… logement… voiture… diplôme… crédit… » « Décidément, il y a de quoi faire. » Elle pourrait rajouter des « doubles décimètres » en plus des stylos noirs dans son distributeur à "papier ministre"…
Source: Rappel des règles de la correspondance militaire
Oui
J’ai dit rien…
Rien à ajouter
Madalina Diana Ghenea
´
Alexandra Daddario