A la femme aimée.
Lorsque tu vins, à pas réfléchis, dans la brume, Le ciel mêlait aux ors le cristal et l'airain. Ton corps se devinait, ondoiement incertain, Plus souple que la vague et plus frais que l'écume. Le soir d'été semblait un rêve oriental De rose et de santal.
Je tremblais. De longs lys religieux et blêmes Se mouraient dans tes mains, comme des cierges froids. Leurs parfums expirants s'échappaient de tes doigts En le souffle pâmé des angoisses suprêmes. De tes clairs vêtements s'exhalaient tour à tour L'agonie et l'amour.
Je sentis frissonner sur mes lèvres muettes La douceur et l'effroi de ton premier baiser. Sous tes pas, j'entendis les lyres se briser En criant vers le ciel l'ennui fier des poètes Parmi des flots de sons languissamment décrus, Blonde, tu m'apparus.
Et l'esprit assoiffé d'éternel, d'impossible, D'infini, je voulus moduler largement Un hymne de magie et d'émerveillements. Mais la strophe monta bégayante et pénible, Reflet naïf, écho puéril, vol heurté, Vers ta Divinité.
Renée VIVIEN
LES DEUX FLEUVES
Tu te souviens, mon endormie,
De ces caresses retenues?
Si jamais tu ne fus moins nue,
J'étais plus sage qu'une amie.
Jusqu'à l'extrême bord nous fûmes
De la volupté défendue,
Mais nos mains, mouettes perdues,
Ne rasaient pas l'amère écume.
Nuit que je voulais éternelle,
Où, sans sommeil et sans parole,
Nous fûmes, tête contre épaule,
Deux fleuves de sang parallèles.
François Mauriac