Le TGP, samedi 29 novembre 2014
Douloureuse confrontation vendredi soir devant le TGP lors des représentations de la pièce de Brett Bailey, Exhibit B. Les manifestants qui s’opposent à la tenue des représentations sont majoritairement jeunes et noirs, bien sur. A partir de 18.30 ils sont sans ménagement repoussés sur le trottoir opposé au théâtre par les CRS (qui pourtant ont eu vraisemblablement l’instruction de rester « soft »). Mais il n’empêche, cette opération reste violente : les CRS sont nombreux, les manifestants constamment filmés, ce qui rajoute à l’intimidation manifestement organisée. De l’autre côté du trottoir, les personnes qui ont réservé, peuvent petit à petit entrer. Je prétexte un email d'inscription au débat (qui a été annulé entre temps) pour entrer. A l’intérieur, le personnel et les spectateurs qui sont là, sont avenants, courtois, souriants. Aimables et bien élevés, en fait. Le dialogue est rompu, chaque camp est retranché derrière son bon droit. Il se produit de fait, une opposition radicale entre « eux » et « nous ». Il y a dehors de jeunes manifestants, noirs, qui sont parqués par la police pour permettre que se joue une pièce qui entend précisément dénoncer le sort des « noirs parqués » par une institutionnalisation de l’esclavage et du racisme! Les manifestants dénoncent une mise en scène qui ravive l'humiliation et occulte totalement les résistances des noirs. Mais ils dénoncent également la légitimité du « monde de la culture » à parler en leur nom car ils ne se retrouvent pas socialement dans ce monde là. Il y a une confrontation sociale qui se cristallise sur une question raciale. Un « monde de la culture » qui a oublié qu’il s’est si souvent par le passé, réclamé d’être du côté de la contestation à l’ordre établi. Et les intellectuels, les universitaires, les politiques, les hommes et femmes des médias qui ont fait de la dénonciation du racisme leur fond de commerce médiatique, brillent par leur absence, laissant potentiellement le terrain aux défenseurs de positions extrémistes malheureusement. Qu’en est-il de la pièce en elle-même? Brett Bailey reconstitue des « tableaux » avec des cartels qui de fait «figent» la représentation, la tétanise. Les acteurs immobilisés sont réduits au rang de « matériaux » du tableau, privés de leur capacité d’agir et d’interagir avec le public. Un public qui est « au spectacle » ! Le metteur en scène se place en surplomb. Et bien si ça ne marche pas au moins pour certains, il faut accepter que ces derniers la dénoncent! Et les médiateurs gagneraient à imaginer des espaces d'échanges même si ils sont difficiles à mettre en place.
Oulimata Gueye
A lire : - l'article limpide de Christine Eyene Exhibit B : de quel racisme parle-t-on? - l'article très bien argumenté de Yvette Greslé "twenty pound spectacle: brett bailey (exhibit b)" - l'article d'Eric Fassin qui revient sur la première critique qu'il avait fait du spectacle et le sens de la protestation: "Exhibit B: représentation du racisme et sous-représentation des minorités raciales"